La capacité à être en phase avec ce qui vit dans la société est un des fondements du marketing. Et c’est naturellement souvent sous cet angle que le développement durable est abordé par les marketers. Ceux-ci auront dès lors tendance à mettre en avant des études montrant à quel point le développement durable fait l’objet des préoccupations des consommateurs ou à quel point il est essentiel que les marques l’intègrent dans leurs discours si elles veulent rester pertinentes.
Dans ce sens, la communauté marketing a tendance à traiter le développement durable comme une tendance parmi les autres, comme le dernier ‘flavor of the month’. Il est évidemment réjouissant de voir le consommateur se préoccuper de l’avenir de la planète et de ses habitants. Et on serait mal avisé de critiquer ceux qui veulent ‘surfer’ sur cette tendance à partir du moment où leur démarche est sincère et ne se limite pas à des effets d’annonce.
Mais considérer le développement durable uniquement comme un souhait du consommateur qu’il convient de combler serait réducteur et dangereux.
On ne va pas ici remettre une couche sur les défis auxquels fait face à notre monde, d’autres contributeurs à ce ‘green paper’ l’ont très bien fait, mais ce qui est en jeu est ni plus ni moins l’avenir de nos sociétés. Pour ceux qui n’en seraient pas convaincus et qui regarderaient encore uniquement les choses sous un angle économique, on peut citer David Brower qui affirmait qu’il n’y a pas de business sur une planète morte.
‘There is no business on a dead planet’
Et donc, considérer le développement durable uniquement comme une tendance est dangereux pour différentes raisons. D’une part les tendances vont et viennent. On a vu un réel ‘boom’ des préoccupations liées au développement durable durant la crise du COVID. Selon une étude de GFK[1], le pourcentage de belges identifiés comme ‘eco-actives’ est passé de 20,6% à 34% de 2019 à 2021. Malheureusement, et pour des raisons compréhensibles, la crise actuelle du pouvoir d’achat a fait retomber ce pourcentage à 20,2% en 2022.
Mais l’urgence économique et sociale, elle, ne connaît pas de fluctuations, seulement une croissance constante et inexorable. On ne peut pas se permettre de remettre à demain les impératifs du développement durable au gré des sautes d’humeur du consommateur, même si celles-ci sont humainement compréhensibles.
D’autre part, considérer le développement durable uniquement comme un besoin à satisfaire implique de ne pouvoir mobiliser pour la transition que la partie de la population qui est non seulement mobilisée pour cette cause mais qui est susceptible de réellement changer ses comportements. Or, l’ampleur des changements à opérer dans nos modes de consommation implique d’en mobiliser une frange bien plus importante, y compris ceux qui sont actuellement plutôt réfractaires à tout changement.
Et donc, sans se prendre pour JFK, on pourrait lancer un appel à la communauté des marketers pour trouver un juste équilibre entre ‘ce que la durabilité peut faire pour eux’ et ‘ce qu’ils peuvent faire pour la durabilité’.
‘Ne vous demandez pas ce que la durabilité peut faire pour vous
mais ce que vous pouvez faire pour la durabilité’
Regarder les choses sous cet angle change fondamentalement les données de l’équation. Car il s’agit d’utiliser nos talents d’empathie pour stimuler fondamentalement une transition durable pour tous, plutôt que de simplement répondre à l’appel d’un segment particulier de consommateurs, ou de faire bonne figure pour éviter d’être par trop critiqués.
Par rapport à une approche uniquement basée sur les besoins exprimés cela demande par exemple de confronter ceux-ci aux impératifs réels de développement durable dans nos catégories de produits.
Ce que le consommateur a tendance à estimer comme ‘durable’ n’est pas toujours en ligne avec l’avis des experts. Il faut donc mettre en parallèle ces éléments pour s’assurer qu’au-delà de la réponse aux demandes du consommateur, on puisse lui proposer des solutions qui ont réellement un impact significatif sur la planète et ceux qui l’habitent.
Cela implique de pouvoir l’informer ou de lui rendre sympathique des solutions auxquelles il n’aurait pas automatiquement pensé. Cela implique aussi parfois de modifier notre offre produit même si cela ne répond pas à un besoin exprimé du consommateur. C’est assez contre-intuitif pour des marketers mais il faut accepter que les impératifs du marketing et du développement durables sont parfois convergents, et parfois pas.
D’autre part, il faudra aussi motiver pour des alternatives plus durables des consommateurs qui s’en fichent comme de leur première chemise. Et c’est une autre approche contre intuitive. Parfois il faudra ‘vendre’ des alternatives durables sur base d’éléments non liés à la durabilité. Lors d’une conversation récente, le directeur marketing de la STIB m’indiquait que la raison principale pour laquelle les usagers délaissaient leur voiture pour les transports en commun n’étais pas l’écologie mais le gain de confort. Et, si on peut prendre une posture moraliste et le regretter, on peut aussi simplement en prendre bonne note et utiliser d’autres leviers que l’argumentaire sur la durabilité pour favoriser celle-ci.
On le voit, la nécessaire transition vers un monde plus respectueux de l’homme et de la planète nous impose en tant que marketers de bousculer nos structures mentales habituelles. Dans la sacro-sainte relation ‘marque consommateur’ que nous avons appris à maîtriser au cours des 70 dernières années, nous devons introduire un troisième larron à savoir la ‘société’ et ses intérêts à long terme. Et cela forme un drôle de ménage à trois dans lequel de nouveaux équilibres sont à trouver.
Comme chaque changement de paradigme, celui-ci nécessite tâtonnements et expérimentations. Mais il représente une mission extrêmement excitante pour nos professions, à supposer que nous l’acceptions. Et quelle opportunité de revaloriser nos métiers et de leur donner un sens nouveau, et de mobiliser une nouvelle génération de marketers !
[1] Sustainability in times of economic crisis – GFK - 2022
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